Au fil du Gange
Je ne sais que trop bien, que je ne suis pas le premier Européen à rêver de la rencontre avec le fleuve le plus sacré et le plus vénéré de l’Inde, bien au contraire ; cela fait des siècles et des siècles, que les occidentaux fabulent à propos du Gange, qui représente dans notre esprit la principale artère de la vie spirituelle, culturelle, historique, ou vitale – tout court – du pays.
Le Gange, n’est pas dans l’esprit des hindous une rivière ordinaire: c’est un monde à part. Et avant tout, même avant l’Indus – qui donna le nom à ce territoire énorme – le fleuve-déesse est la mère de l’Inde. Je n’ai d’ailleurs jamais compris, pourquoi la langue française fait de Ganga par l’essence féminine “le” Gange. Pour un hindou, il doit s’agir d’une insulte. Une déesse dont on fait en France un ‘lui’. Mais plus important encore que la sémantique, c’est le périple que le fleuve représente. Voici donc un rapide voyage au cours de l’eau qui s’écoule depuis le Himalaya jusqu’à l’océan Indien sur 2525 km en quatre étapes: Haridwar, Allahabad, Bénarès et Kolkata.

HARIDWAR, HARDVAR ( UTTARAKHAND / UTTARANCHAL)
Situé à 253 km en aval de la source du fleuve la petite cité de Haridwar est l’un des sept lieux le plus sacrés de l’hindouisme (Sapta puri) car les deux courants principaux de cette vielle religion les shaïvaïtes et les vaïshnavites le vénèrent. De la même importance que Bénarès, la baignade dans le Gange à Haridwar garantit aux croyans la délivrance de tout péché et l’interruption du cycle des renaissances quand son corps est brulé où immergé dans le fleuve à cet endroit. Ville est de petite taille et le climat tempéré de Haridwar qui se situe sur les contrefort des Himalaya reste agréable toute l’année. L’eau qui descend des montagnes et démarre ici son périple à travers les plaines de l’Inde est fraîche et de couleur bleue, étonnamment propre comparée à son cours inférieur où se situent sur ses rives des grandes villes très peuplée. Son attraction principale: le Har Ki Pauri ghât – le lieu de la baignade le plus sacré de la ville donnant l’accès au fleuve. Il fut aménagé par un roi hindou au début de notre ère à l’honneur de son défunt frère. Comme à Bénarès, la cérémonie du soir: aarati ( ou aarti ) rassemble un grand public. Elle est spectaculaire et émouvante car au son des clochettes et illuminée par les feux sacrés, elle constitue le moment où le fleuve se met au repos nocturne. Après les rituels, les pèlerins posent sur les vagues du fleuve les diyas (petites lumières flottantes garnies de fleurs) pour se rappeler leurs disparus. La majorité des ghâts était bâtie au cours du XIXe siècle, mais on y trouve de jolis temples des siècles précédents ainsi que l’endroit avec l’empreinte supposée du pieds de Vishnou.
Paisible et calme, Haridwar accueil tout les douze ans le grand rassemblement religieux: Kumbh Mela, privilège qu’il partage avec trois autres villes dont une seulement se trouve sur le Gange: Allahabad. Il constitue alors une belle alternative aux grandes villes si prisées du tourisme religieux – elle se trouve à cinq heures ( environ ) de voiture de Delhi.






ALLAHABAD – PRAYAGRAJ (UTTAR PRADESH) Yamuna qui rencontre le Gange après le parcours long de 1376 km depuis sa source près de Haridwar, est l’un des sept fleuves sacrés de l’hindouisme et le principal affluent du Gange à l’ouest du Bengale. Elle se confond avec le Gange à mi-chemin depuis son origine vers la mer. Cet endroit très sacré pour les hindous se dit Prayag. C’est ainsi qu’on nommait à l’origine cité actuelle qui fut l’une des plus ancienne villes de l’Inde. Située à l’endroit des confluences des fleuves Ganga et Yamuna, elle était conquise par les Turcs et renommée Allahabad ( la ville d’Allah) par l’empereur moghol Akbar au milieux du XVIe siècle. Siège d’une important base militaire britannique et d’une université ( à laquelle elle doit son surnom l’Oxford de l’Inde) la ville est devenue cependant très provinciale et son seul intérêt, malgré le rôle important qu’elle joua dans l’histoire du pays des origines jusqu’au XXe siècle, est justement sa situation géographique liè aux deux cours d’eau qui l’entourent. Le gouvernement hindouiste l’a récemment renommée Prayagraj, pour que toute connotation musulmane soit écartée de l’aspect sacrée si important que la ville joue dans la religion brahmanique. Un choix politique qui peut en juger. C’était pour la demi-Kumbh Mela qui eut lieu cette année entre le 15 janvier et le 4 mars que la ville change de nom. Le plus grand rassemblement humain du monde: la fête de Maha Kumbh Mela (grande fête de la cruche) s’y tient tous les douze ans avec une parenthèse six-annuelle (ardh ou demi Kumbh Mela) si les astres les permettent. Elle se tient au mois de Magha, janvier/février de notre calendrier grégorien le jour de nouvelle lune, quand Jupiter est dans le Taureau et le soleil et la lune apparaissent dans le Capricorne, ce qui dure en général 45 jours. Prendre son bain ici signifie non seulement la purification de tout pêché dont on a pollué son karma, mais garanti la délivrance du cycle des réincarnations – selon les croyances hindoues. Le Rigveda confirme: ” Celui qui se baignera où les fleuves se rencontrent et s’unissent sera emporté au cieux!” Voici, pourquoi la dernière Maha Kumbh Mela réunit plus de 120 millions de pèlerins qui sont venus d’immerger dans l’eau ici.
On se baigne à un endroit précis: le Triveni Sangam où confluence des trois cours d’eau. Mais pourquoi trois si à l’extérieur de Allahabad/Pragayraj seules Yamuna et Ganga se rencontrent? Les hindous croient qu’une troisième rivière, invisible, vient d’unir son énergie vitale aux fleuves visibles: la Sarasvati. Accessible seulement en bateau, le Sangam est peu profond et on peut y quitter le bateau pour rentrer dans les eaux chaudes des rivières mêlées surtout dans les jours les plus propices pour la baignade selon le horoscope ( à consulter pour chaque Kumbh Mela).






BENARES, VARANASI (UTTAR PRADESH)
Quand ont dit le Gange on pense immédiatement Varanasi. La légendaire Bénarès, que l’on dit l’une des plus anciennes villes du monde, sur la rive gauche du Gange fait face à l’est et au soleil levant qui baigne ses ghâts d’une lumière douce tous les matins. Et les ghâts il y en a à Varansi, 88 en tout – étalés sur plus de six kilomètres de la rive occidentale du fleuve. Les plus importants sont le Dashashwamedh et le Panchaganga, particulièrement prisé pour la performance des rites et deux autres: Manikarnika et Harishchandra – les sites de crémation des corps humains.
La ville est considérée comme la plus sacrée de l’Inde car plusieurs légendes, liées à la création de notre monde notamment, s’y situent. On y compte quelques 23000 temples ( un chiffre énorme pour une population d’à peine 1,5 million d’habitants permanents) et parmi eux, trois plus importants sanctuaires de hindouisme. Le premier c’est le Kashi Vishwanath ou temple d’Or dédié à Shiva dont l’histoire est intimement liée à la ville. Kashi est d’ailleurs le nom sous lequel les hindous désignent Bénarès – cela signifie “la lumineuse” car on dit, que c’est d’ici qu’une colonne de lumière c’était élevée pour relier les mondes. Temple de Hanuman (dieu-singe) et celui de Durga (une déesse très vénérée dans toute l’Inde) sont deux autres sanctuaires majeurs. Sarnath, à quelques kilomètres de Varanasi est l’un des principaux sites de pèlerinage des Bouddhistes et les sanctuaires qui abritent les tombeaux des saints soufis musulmans se trouvent dans les environs de la ville même s’ils sont à l’écart des sentiers touristiques classiques. Cette ville si particulière qui excite l’imaginaire des occidentaux depuis les siècles est tournée vers le cours d’eaux qui est justement son temple le plus sacré de tous: le Gange. Ayant statut d’une déesse vivante, Ganga s’est vue offrir les plus beaux édifices par les maharajas de tout le pays pour être au plus près d’elle. Ainsi les ghâts sont d’une beauté surprenante: les palais somptueux y côtoient les anciens temples et les plateformes aménagés pour la méditation des saints hommes. Particulièrement paisible la journée, le front fluvial est un monde à-part où la vie de la ville semble converger au moment du lever et du coucher du soleil. En ce moment là, les offrandes et les prières se rependent sur les flots du Gange. Le contraste est saisissant avec l’intérieur de la ville qui ressemble à un sombre labyrinthe dans la partie la plus ancienne de la ville juste au-dessus des ghâts. Les parties les plus récentes sont toujours très animées et ce à tel point que le bruit et la cohue qui y règnent du matin au soir fatiguant et exaspérant les visiteurs – tellement ils contrastent avec le calme et la sérénité des ghâts où la magie opère à tout moment du jour. Une expérience unique.






KOLKATA & DELTA DU GANGE ( BENGALE OCCIDENTALE )
Calcutta, la capitale des Indes britannique jusqu’à 1911 est la troisième plus grande ville de l’Inde, son port commercial, le plus ancien et aussi le plus grand port fluvial de l’Inde. Quand la Compagnie des Indes Orientales s’y est installée dans un comptoir donné par le Nawab de Bengal en 1690, elle n’espérait sans doute pas que le village de Calicut allait devenir l’une des plus belles villes de toute l’Asie et l’un de ses centres culturels majeurs avec la première université de style occidentale sur tout le continent. C’est aussi un grand centre spirituel – le temple principal étant dédié à la déesse noire Kali. Il est fort possible que le nom de Calcutta était dérivé de Kali khetro où le champs de Kali. Les images de Kali où son autre avatar: Durga sont très présents dans la ville et sa plus importante fête le Durga-puja lui est consacrée. Troisième plus riche agglomération du pays après Mumbai et Delhi, Kolkata est la dernière grande ville sur le cours inférieur du Gange, qui s’appelle ici le Hooghly. En effet, au moment de la rencontre du Gange avec le Brahmapoutre un vaste delta se déverse sur les plaines vertes de cette région pour terminer sa course dans le Golfe du Bengale. Partagé entre l’état indien de Bengale Occidentale et le Bangladesh, ce réseau fluvial est si grand, que sur les 400 millions de personnes vivantes sur le cours du Gange, trois quarts habitent la région du delta. C’est la région la plus densément peuplée de la planète avec 300 millions d’habitant qui en dépendent. Mais comme il s’agît du plus vaste delta du monde, on peut facilement comprendre le phénomène. Deux plus importants fleuves de l’Asie du Sud finissent leur périple ici et drainent jusqu’à la mer les peuples et les cultures si mêlées qu’on en reste impressionné. Après Kolkata, les vertes plaines laissent la place aux Sundarbans – les forêts de mangrove qui recouvrent la quasi-totalité des îles formées par le delta au plus près de l’océan Indien. C’est une zone protégée où vivent des animaux rares comme le léopard à nuages ou le tigre du Bengale et bien entendu des dizaines de variétés d’oiseaux et de poissons. D’une importance majeure, cet écosystème unique était inscrit à UNESCO en 1997 et il est possible de le visiter en excursion d’une journée depuis Kolkata où sur plusieurs jours après l’autorisation auprès des parcs nationaux.





